"À tous ceux qui s’ennuient . . . "
À tous ceux qui s’ennuient je leur laisse la nuit,
Comme à ceux qui s’enfuient et regrettent les jours,
A tous ceux qui se fuient et qui laissent leurs fruits,
Je veux dire qu’ils s’oublient, je veux dire pour toujours,
Car s’il y a bien un jour où il nous faut tout dire,
C’est bien aujourd’hui et non pas demain,
C’est bien ce matin et non pas ce soir,
À tous ceux qui s’ennuient je leur permets l’espoir,
Je leur procure la soif, l’abondance ou la joie,
Je leur offre mes larmes pour qu’ils s’abreuvent deux fois,
Je leur attribue le feu qui fait fondre les doutes,
La croyance en un dieu est s’en doute bien mieux,
Celle qui brûle les ailes en brillant de mille feux,
Mais ce n’est pas celui-là en lequel je crois,
À tous ceux qui s’ennuient je leur propose l’envie,
Je leur donne mes mains qui tissent la vie,
Je leur trouve l’ami qui partage à midi,
Et le soir arrivant, qui réchauffe mes doigts,
Je veux dire ma maison, je veux dire mon âme,
Derrière tout cela, il n’y a pas de raison,
Il n’y a que du vent et les quatre saisons,
À tous ceux qui s’ennuient je voudrais qu’ils m'éprouvent,
Qu’ils se piquent à minuit aux glaçons de l’hiver,
Que leur cœur soit percé des rayons du zénith,
De leurs pieds dans la boue surgiront des racines,
Des aiguilles profondes jusqu’au bout des ongles,
La douleur du temps, en attendant la pluie,
La douceur du levain qui fait lever le pain,
À tous ceux qui s’ennuient je voudrais qu’ils s’enivrent,
De toutes les œuvres qui fondent ce monde,
Qu’ils puissent se glisser dans le lit de leur tombe,
En rêvant aux Ménines d’un regard qui soulage,
Et aux heures les plus sombres, c’est le chant des couleurs,
Un mélange du cœur, un nuage de lait,
C’est le sacre aveuglant et chantant de vos heures les plus pleines,
Qui gommera la douleur de quitter ceux qu’on aime,
À tous ceux qui s’ennuient alors je veux dire pour de bon,
Que je coule dans vos veines, dans vos doigts, dans vos rides,
Et je ris dans le noir de ce trouble silence et de ce corps sans reines,
Éclairé par la flamme d’une peau si fine,
Car je suis l’essence jetée au feu qui bondit,
Je suis le fleuve qui traverse votre corps,
Cette présence vibrante qui l’honore,
Je suis la vie qui traverse la vie...
Vincent Prud'homme
Le 9/04/2020